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XXVIII

À MARIER

Je reçois régulièrement mes quarante francs par mois. — Régulièrement ? Hélas ! non. Il y a parfois un jour, deux jours de retard, et alors j’ai le frisson, parce que ma logeuse attend. Mon estomac attend aussi — c’est dur. J’ai passé souvent vingt-quatre heures, le ventre creux, ayant à peine la force de parler quand j’avais une leçon à donner. Ce n’est la faute de personne ! Mon père ne m’a jamais fait faux bond ; mais j’ai eu beau lui écrire qu’une lenteur de quelques heures m’exposait à une humiliation pénible dans mon garni où ma quinzaine tombait à jour fixe, et me condamnait à des spasmes de faim. Il ne l’a pas cru. Les parents ne se figurent pas cela, loin de Paris. Au café, ils demandent le Charivari, lisent les légendes de Gavarni, qui parlent de carottes tirées par les étudiants. J’ai failli en tirer une, une fois — l’arracher d’un champ, à Montrouge, pour la croquer crue et sale, en deux coups de dent, tant