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C’est mon chant du cygne ! Je ne gagnerai plus un sou dans ce genre-là. Je n’ai plus de sel, même pour mettre dans une soupe.


DIOGERNE

Je vais quelquefois dans un restaurant à prix fixe de la rue Rambuteau, à deux heures moins cinq. Je viens à ce moment là, parce qu’à deux heures le déjeuner finit et le dîner commence.

C’est 50 centimes le déjeuner.

Pour 50 centimes on a un plat de viande, du pain, un dessert. À cet instant de la journée, ce repas — à cheval sur le matin et sur le soir — est très profitable.

J’ai le droit de rester le temps qu’il me plaît, je lis les journaux et je réfléchis.


C’est au premier. — On entre par une allée noire, mais la salle est vaste, bien éclairée, avec des glaces dont le cadre est entouré de mousseline blanche.

De la fenêtre, on plonge dans la rue ; on aperçoit le Colosse de Rhodes, on voit aller et venir un monde d’ouvriers.

J’éprouve de la joie à reposer mes yeux sur la foule des plébéiens ; il y a chez eux de la simplicité, de l’abandon, des gestes ronds, des éclats de gaieté franche. Ce n’est pas grimaçant et tendu comme le milieu où je promène mon existence inutile.

Dès que je puis, je descends vers ces halles bruyantes et dans ce tourbillon de peuple.