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foie gras, poulet, rôti, bourgogne, liqueurs, desserts, cigares !

Et maintenant, la parole est au chansonnier.

Je me lève, je tousse, pâlis, tousse encore.

« Buvez un verre de vin ! »

J’en bois deux ! Et rouge, un peu lancé, je commence. En avant !

Succès fou !

« Monsieur Vingtras ! Ils en crèveront ! »

En même temps, étouffant de joie, se tortillant d’enthousiasme, M. Poirier m’emmène dans un coin, fouille dans ses poches et me glisse quatre louis !

« Je vous en ferai gagner d’autres encore, dit-il… Savez-vous embêter les notaires ? Je voudrais aussi faire crever un notaire ! »


C’est une veine. J’ai un débouché dans les départements du centre. Les commandes affluent. On m’écrit de province ! Je fais sur mesure — je ridiculise sur photographie.

Je sème l’épigramme et la zizanie dans les familles. C’est très lucratif.


Mais tout s’use ! Au bout de deux mois je suis vidé.

Mon rôle de satiriste est fini ! Je meurs comme la guêpe dont le dard se brise dans la blessure, je meurs sur une chanson payée dix francs ! J’en suis arrivé à piquer, cracher et mordre pour dix francs. La dernière ne m’a même été réglée qu’à sept francs cinquante.