Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/26

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


C’est arrangé comme une épitaphe de cimetière sur une croix de village. Le facteur me regarde de la tête aux pieds, et moi je balbutie un mensonge :

— C’est ma grand’mère qui a fait cela. Vous savez, les bonnes femmes de village… »

Il me semble que je me sauve du ridicule, en attribuant l’épitaphe à une vieille paysanne.

« Elle a un serre-tête noir, et sa cotte en l’air par derrière, je vois ça, » dit le facteur d’un air bon enfant. »

S’il avait vu le chapeau jaune, avec oiseaux se becquetant, qui était la coiffure aimée de ma mère !… ma mère que je viens de renier…

Enfin, on a remisé la malle. — Je salue, tourne le bouton et m’en vais.


Me voilà dans Paris.

C’est ainsi que j’y entre.

Je débute bien ! Que sera ma vie commencée sous une pareille étoile ?

Je sors de la cour ; je vais devant moi… Des voitures de bouchers passent au galop ; les chevaux ont les naseaux comme du feu (on dit en province que c’est parce qu’on leur fait boire du sang) ; la ferblanterie des voitures de laitier bondit sur le pavé ; des ouvriers vont et viennent avec un morceau de pain et leurs outils roulés dans leur blouse ; quelques boutiques ouvrent l’œil, des sacristains paraissent sur les