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Donc il n’y a pas à jouer sa tête pour le moment, au nom de la République.

Mon rêve est mort !


Maintenant que la fièvre du régicide est passée, il me semble que c’eût été terrible, et je me figure du sang tiède me sautant à la face — un homme pâle, que j’ai frappé… Il aurait fallu être en bande et que personne ne fût spécialement l’assassin !


Il n’y a plus qu’à rouler sa carcasse bêtement, tristement, jusqu’au moment où elle sera démantibulée par la maladie plutôt que par le combat — j’en tremble !…

Je gardais mes pièces de cent sous, mes pièces d’or, pour acheter des armes, pour avoir aussi de l’argent dans mon gilet quand on m’arrêterait, afin qu’on ne crût pas que j’avais du courage par misère et que j’avais attendu mon dernier sou pour agir.

Puisque je n’ai plus besoin de cet argent pour cela, il me servira au moins à me consoler.

Mais la consolation ne vient pas !

Il y a par les rues autant de soleil et autant de bouquetières ; dans les Tuileries, autant de femmes à la peau dorée ; il y a autant de bruit et d’éclat dans les cafés ; pour trois sous on a toujours un cigare blond qui lance de la fumée bleue — mais je n’ai plus le même regard, ni la même santé ! Je n’ai plus l’insouciance heureuse, ni la curiosité ardente ; j’ai du dégoût plein le cœur.