Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/208

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ivres, moi qui venais parler du salut de la patrie !… Oui, je venais pour cela !

Le salut de la patrie ! — Et qui donc veut la sauver ?

Ce n’est ni celui-ci, ni celui-là ! À aucun je n’ose confier ce que j’ai rêvé, ni dire que j’épargne mon argent pour réaliser mon projet !… Car je l’épargne, je ne vis de rien.


Je regrette les sous que je donnai aux aveugles, que je dépensai en bouquets.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Personne qui m’écoute, ou qui m’ayant écouté, m’encourage…

« Faites le coup ! nous verrons après, répondent quelques-uns. »

D’autres s’indignent et s’épouvantent.

« Ne les écoutez pas !… Vous inspirerez l’horreur simplement et cela ne mènera à rien, à rien — me dit avec sympathie et effroi un vieillard qui a déjà fait ses preuves, et au courage duquel je dois croire. Chassez cette idée, mon ami ! Réfléchissez pendant dix ans ! Il y sera encore dans dix ans, allez !… »

Et comme je murmurais : « C’est pour qu’il n’y soit plus !

— Vous n’avez pas, en tout cas, le droit, dit-il en dernier argument, parce que vous joueriez votre vie comme un fou, de jouer la vie de ceux que votre action fera, le soir même, emprisonner et déporter en masse ! Vous n’avez pas ce droit là !… »