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ciples qui venait quelquefois fumer une pipe avec nous. Il est tout étonné de me revoir.

« On disait que tu étais parti pour les Indes !

— Où sont les amis ? Quel est le café où l’on va ?

— On ne va pas au café, mais il y a le restaurant de la mère Petray, rue Taranne, où l’on dîne en bande le soir. »

Je cours rue Taranne au restaurant Petray.

Ce n’est pas le chand de vin du quartier. Ce n’est pas la crémerie non plus. Il n’y a ni la fumée des pipes d’étudiants, ni l’odeur de plâtre des maçons ; ils n’y viennent pas à midi faire tremper la soupe.

Au comptoir se tient madame Petray ; elle a les cheveux blonds, le teint fade, elle ressemble à un pain qui a gardé de la farine sur sa croûte.

Je n’ai jamais été à pareille fête, dans une salle à manger si claire.

Il y a un bouquet sur une table du milieu, qui domine l’odeur des sauces. Cela sent bon, si bon !…


Il me semble que je suis à Nantes, aux jours calmes, quand on avait un grand dîner, lorsque ma mère rendait d’un seul coup ses invitations de trois ans.

C’était presque toujours aux vacances de Pâques quand renaissaient le printemps, les lilas, et j’étais chargé d’aller chercher des fleurs en plein champ.

On en décorait la grande chambre qui reluisait de fraîcheur et avait un grand parfum de campagne.