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de se montrer. Nous nous sommes jetés dessus, Legrand et moi.

Nous sommes arrivés, gourmands de la querelle, avides d’empoigner l’occasion. Il me semble que cela me grandirait de tenir cette belle lame d’acier, que cela m’apaiserait aussi de tuer un homme, un de ceux qui trouvent niais les gens qui ont un drapeau.

Nous serions certainement arrivés à un duel avec n’importe qui, si un jour le père Legrand n’avait dit à son fils :

« Tu tiens à aller à Paris ? — Eh bien, vas-y ! Je t’y ferai cent francs par mois. »

Legrand voulait m’emmener.

J’en ai parlé à mon père, qui a repris son masque de glace, son geste menaçant — les gendarmes sont au bout. Je ne suis pas majeur encore !

J’ai souhaité bonne chance à Legrand, en lui donnant des lettres pour les camarades, et de la fenêtre de notre maison triste j’ai suivi le panache de fumée qui flottait au-dessus du paquebot ; j’ai regardé du côté de Paris, pâle, irrité. — Pourquoi me retient-on ici ?

Loi infâme : qui met le fils sous le talon du père jusqu’à vingt-et-un ans !

UNE OUBLIÉE.

Mais la physionomie de la maison change tout à coup…