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Le peuple ! où est donc le peuple ici ?

Ces meneurs de bateaux, ces porteurs de cottes, ces Bas-Bretons en veste de toile crottée, ces paysans du voisinage en habit de drap vert, tout cela n’est pas le peuple !


Trouverai-je quelque part, dans un coin, parmi les redingotes, sinon parmi les vestes ou les blouses, quelqu’un à qui je puisse conter mon supplice, qui soit capable de comprendre ce que je souffre, qui ait dans le cœur un peu de ma foi républicaine, de mon angoisse de vaincu !

Si M. Andrez, le directeur des Messageries, était encore ici ! Mais il est parti.


N’avait-il pas un ami jadis, qui est venu s’installer à Nantes ?

J’apprends qu’il y est encore.


Il est chef de bureau je ne sais où. Il a habité Paris. Si je me souviens même, il y avait publié un livre où il mettait en scène une maison de filles et où la justice humaine commettait un crime à la face du ciel. Il faisait mourir sur l’échafaud un innocent, pendant que le vrai coupable regardait l’exécution, son bras passé dans le bras du président des assises, et qu’une catin faisait des moumours au valet du bourreau.

C’était hardi.

Avec celui-là peut-être je pourrai parler société injuste, peuple à défendre.

Je monte chez lui.