Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/150

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le frère de l’adjoint se promène toujours et dit :

« Allons fatiguer la troupe. »


4 décembre, au soir.

Nous n’avons pas fatigué la troupe, et je ne puis plus me tenir, je n’ai plus de voix dans la gorge ; à peine s’il peut sortir de ma poitrine des sons brisés, tant j’ai crié : « Vive la République ! à bas le dictateur ! » tant j’ai dépensé de rage et de désespoir, depuis que Rock a frappé à ma porte…


Il est je ne sais quelle heure. J’ai regagné l’hôtel j’ignore comment — en m’attachant aux murs, en traînant les pieds, en soutenant de mes mains ma tête, pesante, pesante comme s’il y était entré du plomb, et je suis tombé sur mon lit.

Je n’ai pas reçu une blessure, je ne saigne pas ; je râle…

Le sommeil me prend, mais il me semble qu’une main m’enfonce la bouche dans l’oreiller ; je me réveille suffoquant et demandant grâce, j’ouvre ma fenêtre.

J’entends un roulement de coups de fusil !

On se bat donc encore ? On m’avait dit que c’était fini, que tous ceux qui avaient du cœur étaient épuisés ou morts.

C’est sans doute des prisonniers qu’on achève ; on dit qu’on tue à la Préfecture…

Si la lutte avait recommencé !