Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/146

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Oui… et il apporte quelque chose de plus.

« On fera passer, dit-il, un mot d’ordre pour ce soir. Ce soir, rendez-vous place des Vosges… »

Mes camarades me regardent ; suis-je convaincu, cette fois ?

« Convaincu ? Je suis convaincu que nous sommes perdus… Convaincu que nous sommes des enfants, convaincu que si nous étions des hommes d’action, nous aurions déjà une barricade commencée…

— Nous serions tout seuls… hasarde Renoul, le plus prêt à se ranger de mon avis, et la voix frémissante.

— Tout seuls ! Mais si tout le monde en dit autant, c’est la lâcheté sur toute la ligne ! Que ceux qui parlent de fatiguer la troupe aillent derrière les soldats, les mains dans leurs poches, avec des chaussettes de rechange !…

Allez chercher des chaussettes, monsieur, moi je dis qu’il faut aller chercher des combattants et en faire venir en commençant le combat.

— Où le commencer ?

— Où nous voudrons, encore une fois ! Sous ces fenêtres… n’importe où ! Et je m’offre à arracher le premier pavé.

Ce n’est pas pour montrer que j’ai du courage, c’est pour indiquer que je sens venir la défaite à pas de loup ! Je ne crois pas que nous pouvons, à nous dix, sauver la République, mais nous monterons sur un tas de pierres, sur le plus haut tas, et nous crierons : « À nous ! à nous ! Voyez, nous sommes dix ; dix hommes de