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ment, tant que la bataille durera ; elle ne pèse pas une cartouche dans la balance.

Je ne lui dis que ces mots :

« Si je suis blessé, me soignerez-vous ?

— Vous ne serez pas blessé, — on ne se battra pas ! »


On ne se battra pas ? — Je la souffletterais. Elle m’en fait venir la terreur dans l’âme !

C’est qu’au fond — tout au fond de moi, — il y a, caché et se tordant comme dans de la boue, le pressentiment de l’indifférence publique !…

L’hôtel n’est pas sens dessus dessous ! Les autres locataires ne paraissent pas indignés, on n’a pas la honte, la fièvre. Je croyais que tous allaient sauter dans la salle, demandant comment on allait se partager la besogne, où l’on trouverait des armes, qui commanderait : « Allons ! en avant ! Vive la République ! En marche sur l’Élysée ! Mort au dictateur ! »


On ne se battra pas ?


La rue est-elle déjà debout et en feu ? Y a-t-il des chefs de barricades, les hommes des sociétés secrètes, les vieux, les jeunes, ceux de 39, ceux de Juin, et derrière eux la foule frémissante des républicains ?

À peine de maigres rassemblements ! des gouttes de pluie sur la tête, de la boue sous les pieds, — les affiches blanches sont claires dans le sombre du temps, et crèvent, comme d’une lueur, la brume grise. Elles