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Nous jouons à colin-maillard.


On laisserait passer la Chambre des représentants sous les fenêtres, sans se pencher pour la regarder, lorsqu’on est en plein jeu.


Il n’y a que Matoussaint qui ne veut pas convenir qu’il s’amuse. Il prétend qu’il joue parce que colin-maillard apprend à se cacher, à dépister les mouchards, à tromper l’ennemi.

— C’est un bon exercice pour les conspirateurs, l’apprentissage des Sociétés secrètes.

Quand il a le bandeau — quand c’est lui qui l’est — il se figure être le Comité de Salut public qui cherche les ci-devant dans l’ombre ; quand on le poursuit, il croit échapper comme les Girondins ; il a envie de demander une omelette comme Condorcet, ou bien il marmotte tout bas le nom du gendarme qui arrêta Robespierre.

Il rigole autant que les autres, quoi qu’il en dise, quand il se cache les pieds sous le lit et la tête dans la table de nuit.

Il y en a un qui l’est bien souvent ; c’est Championnet, à cause de ses souliers. On le devine tout de suite. Il n’y a pas une heure qu’il joue, que ses talons sont tournés, et l’on n’a qu’à tâter ses chaussures. On me devine aussi très vite, car je sens toujours la poudre de riz ; j’ai toujours un peu embrassé Alexandrine.

Nous avons dix-huit ans, nous sommes un siècle à nous cinq ; nous voulons sauver le monde, mourir