Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/122

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’aurais pas pu m’en tirer, je ne sais pas causer de ce que je n’ai pas vu. Ah ! je ne suis pas fort, vraiment !

Je ne m’en suis ouvert à personne. — J’emporterai ce secret avec moi dans la tombe. — Mais, je le sens bien, je n’ai rien dans la tête, rien que MES idées ! voilà tout ! et je suis un fainéant qui n’aime pas aller chercher les idées des autres. Je n’ai pas le courage de feuilleter les livres. Je devrais mettre de la salive à mon pouce, et tourner, tourner les pages, pour lire quelque chose qui m’inspire. Je ne trouve pas de salive sur ma langue, et mon pouce me fait mal tout de suite.

Rien que MES idées À MOI, c’est terrible ! Des idées comme en auraient un paysan, une bonne femme, un marchand de vin, un garçon de café ! — Je ne vois pas au-delà de mes yeux, pas au-delà, ma foi non ! Je n’entends qu’avec MES oreilles — des oreilles qu’on a tant tirées !

J’ai envie de parler de ceux qui se promènent dans les cimetières pendant que j’y suis, plutôt que de parler de ceux qui reposent sous terre.

Requiescant in pace !

Le Béret rouge et les autres croient que je suis intelligent — il paraît qu’ils le croient… Ils n’ont pas vu mes brouillons ! Ils ne se doutent pas du chien, de la poupée, de la fille du cimetière !

Nous sommes pourtant simples quelquefois. Les Grecs étaient simples à leurs heures, les conventionnels aussi.