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La maîtresse de ce petit appartement a deux pièces, dont l’une, meublée par un lit assez grand, l’autre par une bibliothèque toute petite.

Madame Renoul trouve bien que nous faisons un peu de bruit ; que moi, en particulier, j’ai une voix qui casse les vitres et des souliers qui rayent tout son parquet : elle trouve bien que Matoussaint, en levant les bras, pour faire comme Danton, s’expose à renverser l’étagère où il y a de petits bibelots de foire : — un chat en chocolat et un bonnet phrygien en sucre rouge — mais nous l’amusons quelquefois ; on n’imite pas Danton tout le temps ; on n’est pas tribun éternellement, on est un peu farce aussi ; et après le tocsin de 93, c’est le carillon de nos dix-huit ans que nous sonnons à toute volée !

C’est le grésil du rire après les tempêtes d’éloquence.

Puis, on fait le café.

Renoul reçoit tous les mois, de sa mère, des provisions de moka en grain qu’on moud à tour de rôle, et le bruit de ce moulin-là, l’odeur de ce café, qui sent les îles, adoucissent nos colères plébéiennes et nous rendent, jusqu’au dernier grain, indulgents pour la société mal faite ; ou tout au moins il y a trêve — on met du sucre.


Le pli est pris ; tous les soirs on vient discuter, crier et moudre. On verse, on sirote, on fume, on rit — puis l’on se remet en colère et l’on remonte sur les chaises comme à la tribune.