Page:Vallès - L’Insurgé.djvu/71

Cette page a été validée par deux contributeurs.

c’est seulement le styliste que la critique signale et louange, quand on ne démasque pas l’arme cachée sous les dentelles noires de ma phrase comme l’épée d’Achille à Scyros.

J’ai peur de paraître lâche à ceux qui m’ont entendu, dans les cénacles de gueux, promettre que, le jour où j’échapperai à la saleté de la misère et à l’obscurité de la nuit, je sauterais à la gorge de l’ennemi.

C’est cet ennemi-là qui m’encense aujourd’hui.


En vérité, j’ai eu plus de gêne que de plaisir à recevoir certains saluts, faits par des hommes que je méprise.

Mon vrai bonheur, celui qui m’a arraché des yeux de sincères larmes d’orgueil, c’est lorsque, dans des lettres venues de je ne sais où, et qui m’ont rejoint je ne sais comment, j’ai trouvé des poignées de main d’ignorés et d’inconnus, de conscrit effaré ou de vaincu saignant.

« Si je vous avais lu plus tôt ! » dit le vaincu.

« Si je ne vous avais pas lu ! » dit le conscrit.

J’ai donc pénétré dans la foule, il y a donc derrière moi des soldats, une armée !… Ah ! j’ai passé des nuits à rôder dans ma chambre, tenant ces chiffons de papier dans mes doigts crispés, ruminant l’assaut sur le monde avec ces correspondants pour capitaines !


Heureusement, je me suis vu dans la glace : j’avais