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Sorbonne, si ce que j’écrivais ressemblait à du Pascal ou à du Marmontel, à du Juvénal ou à du Paul-Louis Courier, à Saint-Simon ou à Sainte-Beuve, je n’ai eu ni le respect des tropes, ni la peur des néologismes, je n’ai point observé l’ordre nestorien pour accumuler les preuves.

J’ai pris des morceaux de ma vie, et je les ai cousus aux morceaux de la vie des autres, riant quand l’envie m’en venait, grinçant des dents quand des souvenirs d’humiliation me grattaient la chair sur les os — comme la viande sur un manche de côtelette, tandis que le sang pisse sous le couteau.


Mais je viens de sauver l’honneur à tout un bataillon de jeunes gens qui avaient lu les Scènes de Bohème et qui croyaient à cette existence insouciante et rose, pauvres dupes à qui j’ai crié la vérité !

S’ils en tâtent encore, de cette vie-là, c’est qu’ils ne seront bons qu’à faire du fumier d’estaminet ou du gibier de Mazas ! À l’issue de leurs trente ans, ils seront happés au collet par le suicide ou la folie, par le gardien d’hospice ou le gardien de prison, ils mourront avant l’heure ou seront déshonorés à leur moment.


Je ne les plaindrai pas, moi qui ai déchiré les bandages de mes blessures pour leur montrer quel trou font, dans un cœur d’homme, dix ans de jeunesse perdue !