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plantée, comme au bout d’une pique, une tête livide, qu’on croirait coupée s’il baissait les paupières.

Cette tête-là semble avoir déjà perdu tout son sang, le long du mur aux fusillades ou dans le panier du bourreau ; les cheveux même retombent comme la chevelure emmêlée d’un supplicié ; les lèvres sont blanches et gardent, au coin, la moue de détente des agonies.


Telle est, au repos, la physionomie de Ranvier — destiné par sa précoce pâleur au martyre, portant d’avance la marque d’une vie de douleur et d’une fin tragique !

Mais qu’il ouvre la bouche et qu’il parle, un sourire d’enfant éclaire son visage et la voix, éraillée par la phtisie, est sympathique, avec son reste d’accent berrichon et son arrière-goût de lutrin. Il a dû entonner les vêpres, dans son village, quand il était jeune, car il a conservé un peu de la mélopée du répons, au fond de sa gorge brûlée par l’air vicié des villes.


Il a été petit patron ; la faillite lui a mangé ses quelques sous. Il n’en parle jamais, capable de croire qu’il a entaché le blason du parti — mais la blêmeur qui lui enfarine la face est peut-être venue le matin où le syndic a prononcé la déchéance.

Ceux qui le connaissent savent qu’il en souffre…