Page:Vallès - L’Insurgé.djvu/299

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il s’exaltait, et autour de lui on s’exaltait aussi.

La sentinelle, dont on voyait par la fenêtre luire la baïonnette, s’était arrêtée pour écouter ; et quand le ministre eut fini, je vis l’arme bouger et se profiler en noir sur le mur inondé de soleil. L’homme muet faisait le geste de viser et d’abattre ceux qui parleraient de délier la langue aux insulteurs de pauvres.


— Et à l’instruction publique ? Sais-tu qui est là ?

— Eh ! oui, le grand Rouiller.


Rouiller est un fort gaillard de quarante ans, à charpente vigoureuse, et dont le visage est comme barbouillé de lie. Il se balance en marchant, porte des pantalons à la hussarde, son chapeau sur l’oreille, et le pif en l’air. Il semble vouloir faire, avec ses moulinets de bras et de jambes, de la place au peuple qui vient derrière lui. On cherche dans sa main la canne du compagnon du Devoir ou celle du tambour-major, qu’il fera voltiger au-dessus d’un bataillon d’irréguliers.

Il est cordonnier, et révolutionnaire.

— Je chausse les gens et je déchausse les pavés !


Il n’est guère plus fort en orthographe que son collègue de l’Intérieur. Mais il en sait plus long en histoire et en économie sociale, ce savetier, que n’en savent tous les diplômés réunis qui ont, avant lui, pris le portefeuille — dont il a, avant-hier, tâté