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de me faire à mon bagne, de noyer mon cœur dans une chopine d’abondance — je vais aimer mon auge !

J’ai eu faim si longtemps !

J’ai si souvent serré mes côtes, pour étouffer cette faim qui grognait et mordait mes entrailles, j’ai tant de fois brossé mon ventre sans faire reluire l’espoir d’un dîner, que je trouve une volupté d’ours couché dans une treille à pommader de sauce chaude mes boyaux secs.

C’est presque la joie d’une blessure guérie à chatouiller.


Toujours est-il que je n’ai plus le teint verdâtre et l’œil creux ; il traîne souvent de l’œuf dans ma barbe.

Je ne la peignais pas autrefois, cette barbe ; mes doigts la fourrageaient et la maltraitaient, lorsque je songeais à mon impuissance et à ma misère.

À présent, je la lisse et l’égalise… j’en fais autant pour ma tignasse, et l’autre dimanche, devant le miroir, en laissant tomber mes derniers voiles, je me suis surpris, avec une pointe d’orgueil, une pointe de bedon.


Mon père était plus courageux, et je me rappelle avoir vu luire de la haine dans ses yeux, quand il était maître d’études, lui qui ne jouait pas au révolutionnaire cependant, qui n’avait pas vécu dans les