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tion totale se réalisât sous peine pour l’observateur devenu ouvrier de cesser d’être apte à accomplir son travail d’observation. Comme le remarque très justement le signataire de la lettre, la conscience que l’observateur garde du caractère temporaire et volontaire de sa vie d’ouvrier conserve à son expérience réelle sa réalité de fiction et sépare rigoureusement l’ouvrier par curiosité de l’ouvrier par nécessité. L’un sait qu’il cessera de l’être. L’autre n’a pas d’espérance. Pendant mes premières enquêtes et au cours des enquêtes suivantes, toujours j’ai ressenti l’impression que je ne faisais que traverser cette vie accablante de l’ouvrier et qu’elle n’était qu’un épisode volontaire de ma propre vie ; mais alors, et par contraste, j’éprouvais comme l’effroi de cette existence qui, pour l’ouvrier véritable, ne connaît pas d’autre terme que la mort ; parfois même l’intensité de l’hypothèse vécue était si forte que je finissais par être pris au jeu ; j’ai noté, dans le chapitre Sans travail[1], la dépression morale que me causaient les refus essuyés dans ma recherche d’une « embauche », presque comme si vraiment mon existence eut dépendu de l’heureuse issue de mes démarches. Donc, après avoir éprouvé la « sensation par différence » de la

  1. Voir La Vie ouvrière, pp. 39 et 40.