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la méthode concrète

des dialogues que j’ai pu recueillir, mais ceux-ci n’en ont que plus de prix, leur spontanéité ajoutant encore à leur sincérité. L’ignorance de mes camarades était telle que je les ai parfois étonnés en leur donnant une explication que je croyais banale et qui leur paraissait la marque d’une grande supériorité d’esprit. Ainsi, un des teinturiers de Roanne[1], jeune homme intelligent, âgé de vingt-quatre ans, me dit, au moment du vote de la loi de la journée de dix heures, sa satisfaction d’être désormais assuré d’avoir toujours du travail. Comme je lui en marquais mon étonnement, il me répliqua que les députés venaient de voter une loi qui obligeait les patrons à fournir aux ouvriers dix heures de travail par jour ! Le chômage n’était plus à redouter ! Je le détrompai : cette loi interdit aux patrons de nous faire travailler plus de dix heures, mais ne les oblige pas à nous employer tous les jours et pendant dix heures ; elle limite notre travail, elle ne nous en donne pas. Je croyais avoir émis une idée d’une extrême simplicité. Je le revois encore, l’air stupéfait, tournant vers moi un visage où je démêlais avec surprise une sorte d’admiration, puis se

  1. J’ai rapporté ce fait, très sommairement, dans La Vie ouvrière, p. 96.