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LES ANGLAIS ET L’INDE

mélange d’égalité et de hiérarchie qui caractérise les rapports des officiers anglais entre eux. La scène se passe à la mess d’un régiment d’infanterie. Il est dix heures ; la table est présidée par le major A…, et le claret circule librement. Sous l’excitation du rouge liquide, l’enseigne B… se laisse entraîner à d’interminables discours, et le major A… le rappelle à l’ordre en ces termes : Hold your tongue, sir (taisez-vous ; littéralement : tenez votre langue, monsieur.) Immédiatement l’enseigne B… fait sortir un énorme bout de langue rouge de lèvres vermeilles, le saisit entre l’index et le pouce, et demeure imperturbable au port de la langue comme s’il eût été au port d’armes, à la grande joie des convives et à la plus grande colère du major A… Sur la requête de ce dernier, une cour martiale fut convoquée, et sérieusement et sévèrement réprimanda l’enseigne B… pour conduct unbecoming an officer and a gentleman, sans toutefois ajouter dans le jugement comme elle l’aurait pu : « Pour avoir exécuté un mouvement non prévu dans le manuel du soldat. »

Cette petite scène nous amène tout naturellement à parler des messes des régiments natifs. Quiconque a un peu vécu parmi les Anglais a dû être nécessairement frappé de la parfaite intelligence avec laquelle ils comprennent et pratiquent la vie en commun entre hommes, et nous ne connaissons rien en Angleterre de plus propre à frapper un étranger que le luxe bien entendu de la mess d’un régiment de l’armée de la reine, lorsque dans le pays voisin, il faut bien le dire, les officiers sont