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LES ANGLAIS ET L’INDE.

moins, a en juger par son corps décrépit et tremblotant, ses yeux qui pleurent au soleil, les petits cris fêlés qu’elle mêle aux acclamations de la foule. Sur des sortes de tréteaux presque au niveau du flot sont établis des enfants vêtus d’une robe écarlate, avec un casque de papier doré, orné, en manière de plumet, d’un éventail de plumes de paon, et qui reçoivent d’assez abondantes aumônes. Enfin des sentinelles en habit rouge, les reins ceints d’un pagne, défendent à la foule l’abord des endroits dangereux de la rivière, et, chose singulière, ne font pas respecter la consigne en se servant du bâton dont ils sont armés, mais bien en menaçant les baigneurs aventureux de leur jeter de l’eau au visage, menace devant laquelle tous, sans exception, reculent avec une terreur digne de Gribouille.

Je surveillais avec une incessante curiosité ces scènes d’un autre âge, lorsque l’avant-garde des baïragees parut au sommet du ghaut. En un clin-d’œil, leur flot envahisseur couvre toutes les marches de l’escalier sacré : c’est une fourmilière humaine, une avalanche de têtes noires, de corps bruns, au milieu desquels tranche l’uniforme éclatant des cipayes, qui là du moins font usage de leurs bâtons, dont ils s’escriment complaisamment à droite et à gauche. Les éléphants de la procession ont pénétré dans la rivière par un chemin détourné, et les fakirs se précipitent du haut de leurs montures au milieu des eaux avec une folle ardeur. Il y a là une immense saturnale, avec deux millions d’acteurs, dont le récit minutieux remplirait un volume, et que le pinceau