Page:Valéry - L’Idée fixe.djvu/34

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— C’est immense, ce que vous dites.

— Dame…

— Ce sont des énormités.

— Et il prend son désordre où il le trouve. En lui, autour de lui, partout… Il lui faut une différence Ordre-Désordre, pour fonctionner, comme il faut une différence thermique à une machine, à un phénomène quelconque !… Mais je vous répète que la comparaison est…

— Fausse.

— Non !… Oui… Soit !…

— Et alors ?… Voici, en tout cas, la Poésie justifiée… En un tour de main, ou tourne-main. Il faut parler à la mode. Les journaux maintenant disent : tourne-main.

— Avez-vous réfléchi quelquefois sur les rêves, Docteur ?

— En voilà, des phénomènes à la mode !… Nous aurons bientôt une chaire d’Oneiromancie à la Faculté. Ce n’est pas moi qui la briguerai… Ah non, non…

— Et pourquoi ?

— Mon cher, j’en ai tellement assez de ces histoires, de toutes ces cochonneries, on m’a assez abreuvé de narcoses incestueuses… Savez-vous où j’en viens, où j’en suis ?… À ce point de saturation, que…

— Achevez, Seigneur…

— Je finis par croire que le rêve… N’existe pas !…

— Ciel !…

Que devient alors le songe d’Athalie ?

— Je ne crains pas de m’avancer jusqu’à… être sur le point de penser que le rêve… est un rêve.

— Cependant, vous rêvez quelquefois ?

— Parbleu !… Mais je ne fais la constatation… légale, qu’au réveil. Qui me prouve que ce n’est pas une fabrication du réveil, une fausse mémoire, — une explication première et délirante de l’état de passage du zéro de conscience au régime de veille ?

— Dans ce cas, il ne faudrait jamais dire : J’ai rêvé, mais : Je rêve. Ce verbe n’aurait de sens qu’au présent… Cependant, on s’éveille parfois, en pleine