pleure comme on pleurerait le pouvoir… Tel est le sentiment du Vinci. Sa philosophie est toute naturaliste, très choquée par le spiritualisme, très attachée au mot-à-mot de l’explication physico-mécanique ; quand, sur le point de l’âme, la voici toute comparable à la philosophie de l’Église. L’Église, — pour autant du moins, que l’Église est Thomiste, — ne donne pas à l’âme séparée une existence bien enviable. Rien de plus pauvre que cette âme qui a perdu son corps. Elle n’a guère que l’être même : c’est un minimum logique, une sorte de vie latente dans laquelle elle est inconcevable pour nous, et sans doute, pour elle-même. Elle a tout dépouillé : pouvoir, vouloir ; savoir, peut-être ? Je ne sais même pas s’il lui peut souvenir d’avoir été, dans le temps et quelque part, la forme et l’acte de son corps ? Il lui reste l’honneur de son autonomie… Une si vaine et si insipide condition n’est heureusement que passagère, — si ce mot, hors de la durée, retient un sens : la raison demande, et le dogme impose, la restitution de la chair. Sans doute, les qualités de cette chair suprême seront-elles bien différentes de celles que notre chair aura possédées. Il faut concevoir, je pense, tout autre chose ici qu’un simple renversement du principe de Carnot et qu’une réalisation de l’improbable. Mais il est inutile de s’aventurer aux extrêmes de la physique, de rêver d’un corps glorieux dont la masse serait avec l’attraction universelle dans une autre relation que la nôtre, et cette masse variable en un tel rapport avec la vitesse de la lumière que l’agilité qui lui est prédite soit réalisée… Quoi qu’il en soit, l’âme dépouillée doit, selon la théologie, retrouver dans un certain corps, une certaine vie fonctionnelle ; et par ce corps nouveau, une sorte de matière qui permette ses opérations, et remplisse
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