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nous nous donnons l’illusion de nous confondre à la substance chatoyante et mobile de notre durée ?

Mais Léonard, de recherche en recherche, se fait très simplement toujours plus admirable écuyer de sa propre nature ; il dresse indéfiniment ses pensers, exerce ses regards, développe ses actes ; il conduit l’une et l’autre main aux dessins les plus précis ; il se dénoue et se rassemble, resserre la correspondance de ses volontés avec ses pouvoirs, pousse son raisonnement dans les arts, et préserve sa grâce.



Une intelligence si détachée arrive dans son mouvement à d’étranges attitudes, — comme une danseuse nous étonne, de prendre et de conserver quelque temps des figures de pure instabilité. Son indépendance choque nos instincts et se joue de nos vœux. Rien de plus libre, c’est-à-dire, rien de moins humain, que ses jugements sur l’amour, sur la mort. Il nous les donne à deviner par quelques fragments, dans ses cahiers.

« L’amour dans sa fureur, (dit-il, à peu près), est chose si laide que la race humaine s’éteindrait, — la natura si perderebbe, — si ceux qui le font se voyaient. » Ce mépris est accusé par divers croquis, car le comble du mépris pour certaines choses est enfin de les examiner à loisir. Il dessine donc çà et là des unions anatomiques, coupes effroyables à même l’amour. La machine érotique l’intéresse, la mécanique animale étant son domaine le préféré ; mais un combat de sueurs et l’essoufflement des opranti, un monstre de musculatures anta-