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images pour ne lire que leur succession, leur fréquence, leur périodicité, leur facilité diverse d’association, leur durée enfin, on est vite tenté de leur trouver des analogies dans le monde dit matériel, d’en rapprocher les analyses scientifiques, de leur supposer un milieu, une continuité, des propriétés de déplacement, des vitesses et, de suite, des masses, de l’énergie. On s’avise alors qu’une foule de ces systèmes sont possibles, que l’un d’eux en particulier ne vaut pas plus qu’un autre, et que leur usage, précieux, car il éclaircit toujours quelque chose, doit être à chaque instant surveillé et restitué à son rôle purement verbal. Car l’analogie n’est précisément que la faculté de varier les images, de les combiner, de faire coexister la partie de l’une avec la partie de l’autre et d’apercevoir, volontairement ou non, la liaison de leurs structures. Et cela rend indescriptible l’esprit, qui est leur lieu. Les paroles y perdent leur vertu. Là, elles se forment, elles jaillissent devant ses jeux c’est lui qui nous décrit les mots.

L’homme emporte ainsi des visions, dont la puissance fait la sienne. Il y rapporte son histoire. Elles en sont le lien géométrique. De là tombent ces décisions qui étonnent, ces perspectives, ces divinations foudroyantes, ces justesses du jugement, ces illuminations, ces incompréhensibles inquiétudes, et des sottises. On se demande avec stupéfaction, dans certains cas extraordinaires, en invoquant des dieux abstraits, le génie, l’inspiration, mille autres, d’où viennent ces accidents. Une fois de plus on croit qu’il s’est créé quelque chose, car on adore le mystère et le merveilleux autant qu’on ignore les coulisses ; on traite la logique de miracle, mais l’inspiré était prêt depuis un an. Il était mûr. Il y avait pensé toujours — peut-être sans s’en douter — et où les autres étaient encore à ne pas voir, il avait regardé, combiné et ne faisait plus que lire dans son esprit. Le secret — celui de Léonard comme celui de Bonaparte, comme celui que possède, une fois la plus humble intelligence — est et ne peut être que dans les relations qu’ils trouvèrent — qu’ils furent forcés de trouver — entre des choses dont nous échappe la loi de continuité. Il est certain qu’au moment décisif, ils n’avaient plus qu’à réduire des expressions simples. L’affaire suprême, celle que le monde regarde, n’était plus qu’une chose sûre — comme comparer deux longueurs.

Ce point de vue rend possible à apercevoir l’unité de méthode qui nous occupe. Dans ce milieu, elle est native, élémentaire. Elle