Page:Valéry - Album de vers anciens, 1920.djvu/23

Cette page a été validée par deux contributeurs.


Que je déplore ton éclat fatal et pur,
Si mollement de moi fontaine environnée,
Où puisèrent mes yeux dans un mortel azur
Mon image de fleurs humides couronnée.

Hélas ! L’image est vaine et les pleurs éternels !
À travers les bois bleus et les bras fraternels,
Une tendre lueur d’heure ambigüe existe,
Et d’un reste du jour me forme un fiancé
Nu, sur la place pâle où m’attire l’eau triste…
Délicieux démon, désirable et glacé !

Voici dans l’eau ma chair de lune et de rosée,
O forme obéissante à mes vœux opposée !
Voici mes bras d’argent dont les gestes sont purs !…
Mes lentes mains dans l’or adorable se lassent
D’appeler ce captif que les feuilles enlacent,
Et je crie aux échos les noms des dieux obscurs !…

Adieu, reflet perdu sur l’onde calme et close,
Narcisse… ce nom même est un tendre parfum
Au cœur suave. Effeuille aux mânes du défunt
Sur ce vide tombeau la funérale rose.