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LE PROBLÈME DES MUSÉES

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une demeure en exagère l’effet stupéfiant et triste. Si vaste soit le palais, si apte, si bien ordonné soit-il, nous nous trouvons toujours un peu perdus et désolés dans ces galeries, seuls contre tant d’art. La production de ce millier d’heures que tant de maîtres ont consumées à dessiner et à peindre agit en quelques moments sur nos sens et sur notre esprit, et ces heures elles-mêmes furent des heures toutes chargées d’années de recherches, d’expérience, d’attention, de génie !… Nous devons fatalement succomber. Que faire ? Nous devenons superficiels.

Ou bien, nous nous faisons érudits. En matière d’art, l’érudition est une sorte de défaite : elle éclaire ce qui n’est point le plus délicat ; elle approfondit ce qui n’est point essentiel. Elle substitue ses hypothèses à la sensation, sa mémoire prodigieuse à la présence de la merveille ; et elle annexe au musée immense une bibliothèque illimitée. Vénus changée en document.

Je sors la tête rompue, les jambes chancelantes, de ce temple des plus nobles voluptés. L’extrême fatigue, parfois, s’accompagne d’une activité presque douloureuse de l’esprit. Le magnifique chaos du musée me suit et se combine au mouvement de la vivante rue. Mon malaise cherche sa cause. Il remarque ou il invente, je ne sais quelle relation entre cette confusion qui l’obsède et l’état tourmenté des arts de notre temps.

Nous sommes, et nous nous mouvons dans le même vertige du mélange, dont nous infligeons le supplice à l’art du passé.