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PIÈCES SUR L’ART

des objets rares dont les auteurs auraient bien voulu qu’ils fussent uniques. Ce tableau, dit-on quelquefois, TUE tous les autres autour de lui…

Je crois bien que l’Égypte, ni la Chine, ni la Grèce, qui furent sages et raffinées, n’ont connu ce système de juxtaposer des productions qui se dévorent l’une l’autre. Elles ne rangeaient pas des unités de plaisir incompatibles sous des numéros matricules, et selon des principes abstraits.

Mais notre héritage est écrasant. L’homme moderne, comme il est exténué par l’énormité de ses moyens techniques, est appauvri par l’excès même de ses richesses. Le mécanisme des dons et des legs, la continuité de la production et des achats, et cette autre cause d’accroissement qui tient aux variations de la mode et du goût, à leurs retours vers des ouvrages que l’on avait dédaignés, concourent sans relâche à l’accumulation d’un capital excessif et donc inutilisable.

Le musée exerce une attraction constante sur tout ce que font les hommes. L’homme qui crée, l’homme qui meurt, l’alimentent. Tout finit sur le mur ou dans la vitrine… Je songe invinciblement à la banque des jeux qui gagne à tous les coups.

Mais le pouvoir de se servir de ces ressources toujours plus grandes est bien loin de croître avec elles. Nos trésors nous accablent et nous étourdissent. La nécessité de les concentrer dans