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La difficulté est plus grave encore quand il s’agit de la continuité de la foi et de son action permanente. L’incrédule ne consent pas facilement que la foi sincère puisse coexister avec une conduite non irréprochable, pas plus qu’il ne conçoit qu’elle se puisse accorder avec la rigueur et la lucidité de l’esprit. Si donc il observe dans un croyant des fautes ou des vices, il sera toujours tenté d’en conclure que la foi de ce pécheur est pure simulation. Le péché du croyant tente en quelque sorte l’incroyant. C’est là une manière de piège que la psychologie de l’un tend à la psychologie de l’autre.

Stendhal visse, scrisse e amó en plein reflux religieux. Il a vu paraître le Génie du christianisme, et je devine quel effet ce livre si ennuyeux et d’une si grande portée put produire sur lui. Chateaubriand inaugure, par cet ouvrage, le mysticisme romantique et pittoresque dont les conséquences littéraires et même religieuses se sont développées jusqu’à nous. Mais Stendhal conserve en lui-même tout ce qu’il faut pour n’être pas séduit par ce rafraîchissement des beautés et des vertus d’émotion de la foi et du culte. Il a de fâcheux souvenirs des pieuses gens dont il vit son enfance ennuyée. Il garde une confiance remarquable à l’esprit encyclopédiste et n’a peut-être pas perdu les grands espoirs que l’on avait eus, dans la seconde moitié du xviiie siècle, de réduire la connaissance de l’homme à un système fini de lois précises, nettement écrites et logiquement combinables, bâti sur le modèle de ces belles et pures constructions analytiques par lesquelles les Clairaut, les d’Alembert, les Lagrange avaient représenté le monde physique tel qu’on le concevait de leur temps. Il incarne assez bien, sensualiste abstrait qu’il était, une protestation de l’an 1760 contre 1820 et ses capucinades.