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grimé en commerçant aisé qui voyage pour ses affaires, il parle comme on parle dans les voitures publiques, fait l’économiste, expose ses vues administratives, critique et refait le projet du tracé des futurs chemins de fer. Il s’amuse à se faire peur de l’espionnage de la police, soupçonne les postes, use de chiffres et de signes d’une transparence qui serait comique si ses craintes n’étaient fictives et souhaitées. Il se peuplait l’existence de son mieux ; et quelques feintes inquiétudes l’aidaient à se sentir vivre. Parfois son goût excessif des mimiques du mystère et des apparences du secret fait vaguement songer à Polichinelle…

Ce tempérament, qui engendrait un scénario perpétuel, lui faisait en retour considérer toutes choses humaines sous l’aspect de la comédie. Suprêmement sensible à l’hypocrisie, il flaire à cent lieues, dans l’espace social, la simulation et la dissimulation. Sa foi dans le mensonge universel était ferme et presque constitutionnelle. Il est allé jusqu’à rechercher et à définir ce qu’il est impossible à un homme de feindre : le courage personnel et le plaisir absolu.

Cet être si conscient attache un prix infini au naturel. Cet artiste du dédoublement ne fait que peindre sans relâche des types délicieux de simplicité, des Fabrice, des Lucien, des personnes pures encore, braves, jeunes et neuves, saisies au moment qu’elles entrent dans le monde, et se meuvent d’abord ingénument au milieu d’une charade combinée.

Lui-même se feignait, se donnait sa sincérité. Qu’est-ce donc qu’être sincère ? Presque point de difficulté, s’il s’agit des