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effet. Un grand saint le savait qui se dévêtit sur la place. Tout ce qui est contre l’usage est contre nature, implique l’effort, la conscience de l’effort, l’intention, et donc l’artifice. Une femme qui se met nue, c’est comme si elle entrait en scène.

Il y a donc deux manières de falsifier : l’une par le travail d’embellir ; l’autre, par l’application à faire vrai.

Ce dernier cas est peut-être celui qui révèle la plus pressante prétention. Il marque aussi un certain désespoir d’exciter l’intérêt public par les moyens purement littéraires. L’érotisme n’est jamais loin des véridiques.

D’ailleurs, les auteurs de Confessions ou de Souvenirs ou de Journaux Intimes sont invariablement les dupes de leur espoir de choquer ; et nous, dupes de ces dupes. Ce n’est jamais soi-même que l’on veut exhiber tel quel ; on sait bien qu’une personne réelle n’a pas grand’chose à nous apprendre sur ce qu’elle est. On écrit donc les aveux de quelque autre plus remarquable, plus pur, plus noir, plus vif, plus sensible, et même plus soi qu’il n’est permis, car le soi a des degrés. Qui se confesse ment, et fuit le véritable vrai lequel est nul, ou informe, et en général, indistinct. Mais la confidence toujours songe à la gloire, au scandale, à l’excuse, à la propagande.

Beyle jouait en soi une douzaine de personnages, le dandy, l’homme raisonneur et froid, l’amateur de beaux-arts, le soldat de 1812, l’amant de l’amour, le politique et l’historien. Il se donne à soi-même une centaine de pseudonymes, moins pour se dissimuler que pour se sentir vivre à plusieurs exemplaires. Il transporte dans sa valise, comme un acteur en tournée, ses perruques, ses barbes et ses hardes, son Bombet, son Brulard, son Dominique, son marchand de fers… Dans les Mémoires d’un Touriste,