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ont le plus clairement formés, armés, définitivement marqués. Il jugera toute sa vie selon les souvenirs du jeune Beyle, et ses jugements seront immédiatement fondés sur eux. Son père, sa tante Séraphie, ses grands-parents, le fantôme délicieux de sa mère, ses premiers amis, ses maîtres ne cessent point de lui servir de types, étalons de sensibilité, de méchanceté, de sottise ou d’ennui. Il leur rapporte tous les êtres qu’il rencontre par la suite. Il entre dans la maturité pourvu de tout un jeu de caractères.

Un jour anniversaire de sa naissance, Henri Brulard déboutonne son pantalon. C’est pour écrire dans la ceinture : Je viens d’avoir la cinquantaine.

Tout amateur de Brulard a perdu quelques minutes à rêver sur cette confidence. À quoi peut-elle bien répondre ? À quoi vise cet acte peu commun ? À quoi rime l’acte second de le noter ? Beyle a-t-il véritablement passé cette écriture sur un registre si personnel ? Que s’il a purement inventé ce petit acte, à quelle fin s’adresse cette bizarre invention ? Quel lecteur à venir pense-t-il devoir être affecté par elle ? Voulait-il faire vivant et singulier, ou accuser la sincérité de son journal par l’intimité presque indécente de ce détail ? Hypotheses non fingo

Mais à quoi riment aussi ces caprices linguistiques, ces notations si nombreuses où s’insèrent des mots anglais ou italiens de peu de mystère ?