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ses ambitions très diverses, une pièce perpétuelle ; joue ses gestes, articule ses répliques, ses réponses à ses impulsions, à ses naïvetés, à ses fiascos de divers genres.

Entre les personnages de cette moralité toujours en acte, indéfiniment représentée, ranimée incessamment par les circonstances, paraissent quelques êtres allégoriques, ou entités familières : le Beau Idéal, le Bonheur, la Logique, l’Argent, le Style Noble… L’ombre de Bonaparte, la silhouette du Jésuite, le fantoche du plus fripon des Kings, etc., viennent à tour de rôle se faire acclamer ou siffler sur le théâtre.

Il y a même une certaine musique de ce mimodrame. On entend quelquefois éclater dans le texte, comme des thèmes tout personnels, certaines locutions, presque des interjections, qui n’ont qu’une valeur de signaux nerveux, qui sonnent le ralliement de l’énergie, la résurrection du plus cher souvenir, le réveil de la volonté d’être encore ce que l’on fut, et de souhaiter ce que l’on souhaita…

Ce sont des formules brusques et brèves, qui rompent les chaînes de l’instant, ébranlent un jour morne, et surgissent de l’être comme des rappels aux armes ; comme si, au milieu de circonstances médiocres ou assommantes, contre l’excès d’ennui ou de mélancolie, contre la sensation d’une condition mesquine et de malheur, retentissait le timbre tout-puissant de la valeur personnelle, le cri d’alerte de l’unique soi-même, et presque le son clair de la trompette dont le coup de langue jadis saisissait et redressait le jeune dragon assoupi sur sa bête, quand la recrue de son régiment s’en allait à travers les Alpes rejoindre l’armée de réserve de l’an VIII[1].

  1. Stendhal fut dragon et non pas hussard. D’ailleurs quand il a passé les Alpes, il n’était pas encore incorporé. (Remarque de M. Arbelet.)