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À peine je viens d’écrire, (un peu plus haut), ces noms de vaudeville et d’opérette, je pressens le lecteur choqué. Il n’aime pas sans doute le mélange des castes littéraires ; Stendhal loué par Taine et par Nietzsche, Stendhal presque philosophe, étonne d’être mis si près de simples hommes d’esprit. Mais la vérité et la vie sont désordre ; les filiations et les parentés qui ne sont pas surprenantes ne sont pas réelles…

Je crois donc voir un certain chemin qui, de Stendhal par Mérimée, par le Musset de Fantasio, mène peut-être vers les théâtres mineurs du Second Empire, vers les princes et les conspirateurs des Meilhac et Halévy ? Et ce fil capricieux viendrait d’assez loin. (Mais sur la sphère de l’esprit tout vient de tout et va partout.)

Stendhal, amateur d’opéra-buffa, devait raffoler des petits romans de Voltaire, merveilles à jamais de promptitude, d’activité et de terrible fantaisie. Dans ses œuvres prestes et cruelles, où la satire, l’opéra, le ballet, le pamphlet, l’idéologie, se combinent à la faveur d’un mouvement infernal, fables qui firent les scandaleuses délices de la fin du règne de Louis XV, un esprit sans inertie ne peut-il considérer les élégantes aïeules des opérettes qui amusèrent sans pitié les derniers jours du règne de Napoléon III ? Je ne relis la Princesse de Babylone, Zadig, Babouk, Candide, sans croire entendre je ne sais quelle musique mille fois plus spirituelle, plus critique et plus diabolique que celle d’Offenbach et de ses pareils…

En somme, j’ose penser que Ranuce-Ernest aurait pu régner aux Variétés, et le docteur Dupoirrier exercer au Palais-Royal.