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Verdun, le seul bruit que l’on vous appelle soulage les esprits angoissés. Quel honneur, Monsieur, que de recevoir dans des conjonctures si formidables, la plénitude du commandement, que de s’imposer à tous comme celui dont les circonstances proclament qu’il faut ou le prendre ou périr !

Votre illustre prédécesseur connut une gloire pareille quand toute l’autorité du désastre imminent, en l’an 18, le mit en quelques heures à la tête des quatre armées.

Vous voici donc chef suprême, maître de nos destins, commandant de toute l’armée française. Vous paraissez aussitôt dans toute votre sagesse ; bientôt, dans toute votre humanité.

Hélas, il faut, avant toute chose, vivre à présent les heures les plus pénibles de votre vie. Il faut frapper. « Mais ce sont nos soldats, écrivez-vous, qui sont, depuis trois ans, avec nous dans les tranchées. »

L’Histoire, un jour, chiffres et pièces en mains, notera toute la modération de votre rigueur. En peu de semaines, vous avez, sans haine et sans crainte, réprimé la mutinerie, puni la faiblesse dans les chefs, les actes criminels dans la troupe ; et vous vous attaquez en personne aux causes profondes du mal. Vous interrogez çà et là dans les cantonnements. Vous parlez d’homme à homme, apportant avec vous la justice dans les récompenses, l’équité dans les tours de service, de tranchée et de permission. Discernant dans l’amertume et l’irritation des esprits leurs causes physiques et leurs causes morales, vous vous souciez de la nourriture, du repos, du divertissement des hommes ; et vous les assurez, d’autre part, des espérances de nos armes ; et vous seul le pouviez, sans être suspect de rhétorique ou d’illusion. Surtout, vous exigez que leur vie, en aucun cas, ne soit risquée à la légère