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la rumeur exagère. Surtout, elle est amèrement déçue. L’insuffisance des préparations, les imprudences commises qui n’avaient pas échappé à de si vieux soldats, les indiscrétions inexcusables, toutes ces causes de l’échec qui sont sensibles à tous, reviennent aux esprits et s’y combinent aux motifs les plus divers de mécontentement : promesses non tenues, repos insuffisants, excès de fatigues et d’exercices inutiles…

Des murmures s’élèvent (et non point seulement dans la troupe), contre le haut commandement. Des incidents alarmants çà et là se produisent. Pénétrée de rumeurs sinistres, offerte sans défense à toutes les suggestions, voici bientôt frémir cette héroïque armée. Elle commence d’écouter des voix inquiétantes, de ces voix qui propagent dans les foules anxieuses ce qu’il faut pour en définir les colères et en orienter les mouvements. On lui souffle l’abandon du devoir, et même la rébellion déclarée…

Irons-nous à l’extrême du péril ? Qui nous tirera de ce pas ? Qui nous va ranimer ces régiments qu’on voit comme empoisonnés d’une brusque décomposition de leur volonté de combattre et de vaincre ? Tant d’espérance, tant de vaillance et d’efforts dilapidés tournent en fermentation menaçante, en troubles, en actes violents, presque en révolte. N’oublions point qu’en France, les mouvements révolutionnaires les plus énergiques furent déchaînés par l’indignation patriotique.

Qui nous tirera de ce pas ? C’est alors un seul nom que l’on prononce. Un seul homme est capable de parer au danger le plus grand que nous ayons couru, dans une époque où nous en avons traversés d’inouïs.

Le péril, la raison, le pouvoir le désignent. Le Ministre heureusement inspiré le nomme ; et sur l’heure, comme au jour de