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de lui qu’il soit par le grade, ne se fait pourtant pas un personnage inaccessible, inabordable, un être d’une tout autre espèce.

D’ailleurs, votre pensée serre de trop près la réalité de la guerre ; elle est trop convaincue de l’importance de l’exécution, par la négligence de laquelle les plus belles combinaisons ne sont que de vaines épures, pour que l’idée du combattant et de son état ne soit toujours présente et agissante dans vos desseins. Car, qu’est-ce que le commandement, si ce n’est le gouvernement des forces par la pensée, joint au tempérament de la pensée par la connaissance exacte des forces ? Comme l’esprit, quand il a fortement et distinctement conscience de son corps et de ses membres, se sent plus maître du réel et de soi-même, ainsi en est-il du commandement. Vous n’avez pu souffrir de commander abstraitement sans participer de l’âme et de l’être de ceux qui devaient exécuter vos ordres. Voilà, Monsieur, ce qui, dans une circonstance très cruelle et très redoutable, vous a donné les moyens et la gloire de préserver non seulement notre force, mais l’honneur, et peut-être l’existence même du pays.


Verdun formidablement assailli, formidablement défendu, n’avait exigé de vous que le déploiement de vos magnifiques qualités militaires, dans une action de guerre particulièrement laborieuse ; mais vous n’aviez affaire qu’à l’ennemi étranger. Vers la fin du printemps suivant, surgit le danger des dangers. Notre armée engagée dans une immense opération qui devait être décisive ; nourrie, presque enivrée, des plus grands espoirs, tout à coup se voit arrêtée au milieu de la lutte dont le vaste objet apparaît impossible à atteindre. Elle retombe de toute la hauteur de son élan. Elle est épuisée, elle a subi des pertes sérieuses, que