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a rejoint pendant cette guerre, le point le plus haut où l’homme d’aucun temps soit jamais parvenu, en fait d’énergie, de résignation, de consentement aux misères, aux souffrances et à la mort.


C’est ainsi que Verdun fut sauvé. Votre nom est inséparable de ce grand nom. Mais vos angoisses furent immenses. Cependant que vous inspiriez à tous une confiance que nul autre chef ne leur eût donnée, que tous se reposaient sur vous, que votre présence rassurait à la fois les soldats, le pouvoir, la nation, le commandement et les alliés, vous, Monsieur, témoin trop lucide des formidables efforts de l’ennemi, des pertes et des épreuves inouïes de nos troupes ; vous, toujours incertain de conserver votre ligne suprême, vous refusez jusqu’à la fin de chanter victoire. Vous ressentîtes même une sorte de malaise, en constatant que l’opinion à l’arrière devançait l’événement, estimait victorieuse une résistance qui n’était encore qu’invaincue. C’est là un trait qui est bien de vous. Vous n’avez nulle complaisance pour ce qui n’est assuré ni démontrable. Vous êtes dur pour les apparences.

Mais quelle tendresse en vous pour ces hommes dont les peines inexprimables, les fatigues, les souffrances, les mutilations, les cadavres furent la substance du salut !

Votre attitude froide, et presque sévère, est assez trompeuse, Monsieur. Elle ne trahit pas l’admiration, la sollicitude, l’affection paternelle qui sont en vous pour vos soldats. Mais il n’y eut point de chef plus instruit de leurs besoins, plus ménager de leurs forces, plus ennemi des excès de rigueur et des exigences superflues ; et surtout, plus avare de leur sang. Le soldat peu à peu apprit à vous connaître : il trouva l’homme en vous, l’homme qui, si éloigné