Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 5, 1935.djvu/70

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de nations hostiles, et pour permettre à la prospérité prodigieuse de l’empire de nouveaux développements. Il règne une confiance immense. Il semble impossible qu’une telle préparation, un tel matériel, une telle volonté de victoire n’emportent point toute résistance. La guerre sera brève. On dictera la paix à Paris dans six semaines. Le ciel lavé par l’orage inévitable ; l’Europe émerveillée, domptée, disciplinée, l’Angleterre réduite ; l’Amérique contenue dans son progrès ; la Russie et l’Extrême-Orient dominés… Quelles perspectives, et que de chances pour soi ! Observons qu’il n’y avait rien dans tout ceci qui fût tout à fait impossible, et que ces vues d’apparence déraisonnable se pouvaient fort bien raisonner.

Chez nous… Mais est-il besoin que l’on nous rappelle la suprême simplicité de nos sentiments ? Il ne s’agit pour nous que d’être ou de ne plus être. Nous savons trop le sort qui nous attend. On nous a assez dit que nous étions un peuple en décadence, qui ne fait plus d’enfants, qui n’a plus de foi en soi-même, qui se décompose assez voluptueusement sur le territoire admirable dont il jouit depuis trop de siècles.

Mais cette nation énervée est aussi une nation mystérieuse. Elle est logique dans le discours ; mais parfois surprenante dans l’acte.

La guerre ? dit la France, — Soit.

Et c’est alors le moment le plus poignant, le plus significatif, — disons, — le plus adorable de son histoire. Jamais la France frappée à la même heure du même coup de foudre, apparue, convertie à elle-même, n’avait connu, ni pu connaître une telle illumination de sa profonde unité. Notre nation, la plus diverse, et d’ailleurs, l’une des plus divisées qui soit, se figure à chaque