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Mais le combat est l’élément de la bataille générale ; l’exécution tient la conception en état. Si la stratégie veut ignorer la tactique, la tactique ruine la stratégie. La bataille d’ensemble gagnée sur la carte est perdue en détail sur les coteaux. Ici, comme dans tous les arts, — que dis-je, comme dans tous nos actes jusqu’aux plus simples, — la vision, qui est prévision, et le geste qui exécute ne valent que l’un par l’autre.

Précisions de vos idées, connaissances longuement acquises, conclusions claires et nettes, aurez-vous quelque jour l’occasion de les voir à l’épreuve ?

La guerre existera-t-elle quelque jour ?


Quelle phase étrange de l’Histoire, que cette phase que l’on peut appeler l’ère de la Paix armée, et dont je voudrais pouvoir dire, et ne le puis du tout, qu’elle n’est plus qu’un souvenir !

Pendant quarante ans, l’Europe est suspendue dans l’attente d’un conflit dont on sait qu’il sera d’une violence et d’un ordre de grandeur sans exemple. Nulle nation n’est sûre de ne pas s’y trouver engagée. Tout homme dans ses papiers conserve un ordre de rejoindre. La date seule y manque. Quelque jour inconnu, les accidents de la politique y pourvoiront. Pendant quarante années, le retour du printemps se fait craindre. Les bourgeons font songer les hommes d’une saison favorable aux combats. L’explosion, parfois, paraît inconcevable : on en démontre l’impossibilité. La paix armée pèse d’ailleurs si lourdement sur les peuples, grève à ce point les budgets, impose aux individus de si sensibles gênes dans un temps de liberté morale et politique croissante ; elle contraste si évidemment avec la multiplication des échanges, l’ubiquité des intérêts, le mélange des mœurs et des plaisirs inter-