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la menace croissante du choc des hommes mêmes que l’on fait naître en lui une âme de défaite et que la décision est obtenue. Vaincre, c’est avancer, disait-on. On eût pu dire : Vaincre, c’est convaincre.

L’Histoire, qui, par essence, contient des exemples de tout, qui permet de munir toute thèse et qui arme de faits tous les partis, fournissait largement les apôtres de cette tactique. Les progrès des engins les touchaient peu. Mais vous, Monsieur, qui ne pouviez vous empêcher de considérer autre chose que ce désordre d’enseignements contradictoires que nous propose le passé, il vous apparaissait que dans la guerre, comme en toute chose, l’accroissement prodigieux de la puissance du matériel tend à réduire de plus en plus la part physique de l’action de l’homme. On pourrait déduire hardiment de cette remarque si simple que tout événement de l’histoire dans lequel la technique et les engins jouèrent le moindre rôle ne peut plus désormais servir de modèle ou d’exemple à quoi que ce soit…

Le feu tue, disiez-vous… Votre formule à présent paraît bien modérée. Elle est d’un temps où la mitrailleuse n’est pas encore dans toute sa gloire ; elle est jeune et méconnue, tenue pour une machine trop peu rustique, bonne tout au plus pour battre les glacis et les fossés d’un ouvrage ; mais qui se détraquera en campagne aux mains d’un maladroit, et qui épuisera en pure perte, en dix minutes, les coffrets d’un bataillon. Cette opinion était fondée sur le bon sens. Le bon sens nous a coûté cher. Nous vivons dans une époque magique et paradoxale qui se joue à mettre en défaut les jugements les plus sensés. En vérité, ce qui a paru de plus indispensable dans la dernière guerre, ce fut, en dépit du bon sens, l’intervention affreusement efficace d’un matériel de plus en plus compliqué. La mitrailleuse, au premier rang, quoique peu