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péril se font éternels adversaires. Des morts illustres parlent, et les paroles d’outre-tombe sont amères.

Mais vous, Monsieur, renfermé dans ce grand calme, presque légendaire, qui atteste la confiance dans la durée ; préservé par cette raison vigilante qui vous distingue, par cette prudence et cette prévoyance qui ont fait de vous la Sagesse de l’armée ; vous qui gardez, comme une frontière de vos pensées, un silence que l’on sent fortifié de faits, solidement organisé en profondeur, vous êtes du moins l’homme rare que les critiques les plus difficiles, les polémistes les plus aigres, ceux même qui exercent sans relâche la fonction de diminution des renommées et qui se donnent pour emploi de ruiner dans l’esprit public toute grandeur qui s’y dessine, aient dû à peu près épargner. La politique même semble vous respecter, — elle qui vit de choses injustes.

C’est que votre attitude froide et nette, la réserve dans les propos, l’économie de promesses et de pronostics séduisants, votre règle constante d’accepter le réel, de vous tenir au vrai, de le dire à tout risque, ont fait que l’on gardât la mesure avec vous, et que vous pussiez demeurer assez impassible, ne redoutant ni les révélations tardives, ni le retour sur vos actes, ni l’analyse des événements. Tous vos ordres sont là, qui attendent l’histoire. L’histoire y trouvera des modèles de la plus grande précision, des avis toujours nets, des exhortations parfaitement simples et humaines, des commandements toujours exigibles et exécutables, étant conçus et rédigés par un chef qui eût pu les exécuter, comme s’il eût dû les exécuter soi-même. Mais vous vous gardez de l’excès de porter vos prescriptions jusqu’à la minutie, car c’est le plus sage de vos préceptes que de laisser chacun, à tous les degrés de la hiérarchie et dans toutes les spécialités d’une