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À L’ACADÉMIE FRANÇAISE

mais fort séduisante, entre ce culte de la forme et cette tournure critique et sceptique de l’esprit.

La crédulité, pensai-je, n’est pas difficile. Elle consiste à ne pas l’être. Il lui suffit d’être ravie. Elle s’emporte dans les impressions, les enchantements, et toute dans l’instant même, elle appelle la surprise, le prodige, l’excès, la merveille et la nouveauté. Mais un temps vient, quoiqu’il ne vienne pas pour tout le monde, que l’état plus délié des esprits leur suggère d’être exigeants. De même que les doctrines et les philosophies qui se proposent sans preuves trouvent dans la suite des temps plus de mal à se faire croire, et suscitent plus d’objections, tellement qu’à la fin on ne retienne plus pour vrai que ce qui est vérifiable, ainsi va-t-il dans l’ordre des arts. Au doute philosophique ou scientifique, vient à correspondre une manière de doute littéraire.

Mais comment assurer les ouvrages contre les retours de la réflexion, et comment les fortifier contre le sentiment de l’arbitraire ? Par l’arbitraire même, par l’arbitraire organisé et décrété. Contre les écarts personnels, contre la surabondance et la confusion, et en somme, contre la fantaisie absolue, de sceptiques créateurs, créateurs à leur manière, ont institué le système des conventions. Les conventions sont arbitraires, ou du moins se donnent pour telles ; or, il n’y a pas de scepticisme possible à l’égard des règles d’un jeu.

Ce mot peut scandaliser. Faire entendre que l’art classique est un art qui s’oriente vers l’idéal du jeu, tant il est conscient de soi-même, et tant il préserve à la fois la rigueur et la liberté, c’est sans doute choquer ; mais ce n’est, je l’espère, que choquer un instant, le temps même qu’il vous souvienne que la perfection chez les hommes ne consiste et ne peut consister qu’à remplir