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À L’ACADÉMIE FRANÇAISE

comme dans les sciences, une image sans doute remplace quelquefois un certain calcul qui serait laborieux. Mais Racine préférait accomplir. Je le vois tout d’abord dessiner, définir, déduire enfin, d’une pensée longtemps reprise et retenue, ces périodes pures, où même la violence chante, où la passion la plus vive et la plus véritable sonne et se dore, et ne se développe jamais que dans la noblesse d’un langage qui consomme une alliance sans exemple d’analyse et d’harmonie.

Il faut sentir, pour en jouir entièrement, les profondes raisons qui ont fait Racine rejeter tout ce qui fut tant recherché après lui, et dont l’absence dans son œuvre lui a été si souvent reprochée. Tel vers qui nous semble vide a coûté le sacrifice de vingt vers magnifiques pour nous, mais qui eussent rompu une ligne divine et troublé l’auguste durée d’une phase parfaite du mouvement de l’âme.

Au sortir de la petite maison où je venais d’être reçu avec tant de grâce, ces questions agitées inquiétaient encore mon esprit.

Dans ces états de résonance intellectuelle qui suivent et prolongent un entretien où l’on s’est intéressé, il se produit en nous une infinité de combinaisons des idées qui furent émises et non point épuisées.

Pendant quelque temps, nos pensées s’accélèrent, élargissent en quelque sorte leur jeu, illuminent l’imprévu qui est en nous, avant que nous revenions à nous-mêmes, c’est-à-dire aux choses minimes.

Le dialogue qui venait de se terminer se reprenait en moi. Il se transformait dans un échange intérieur d’hypothèses de plus en plus risquées. L’esprit mis en mouvement et livré à soi seul