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À L’ACADÉMIE FRANÇAISE

pour les maîtres qu’ils s’étaient choisis. Il n’en concevait point de grandes espérances. Il disait qu’il ne se sentait attaché à eux par aucun lien, et qu’il n’attendait rien de bon de l’avenir. Tantôt il les comparait à des ascètes, ce qui, même dans sa bouche, était en somme, à demi-supportable. Mais d’autres fois, il ne les distinguait pas des Hottentots. Il écrivit aussi que les belles choses naissent facilement, ce qui n’était pas un bon conseil ; c’est un conseil qui engendre les Hottentots. Il est vrai qu’il a dit aussi le contraire.

Cet homme de tant d’esprit ne pouvait ni ne voulait s’inquiéter comment et pourquoi un assez grand nombre de jeunes gens comprenaient et aimaient ce qu’il ne concevait pas.

Souvent je me suis dit, Messieurs, que si la critique avait le pouvoir magique d’effacer, d’abolir ce qu’elle condamne, et que si ces arrêts s’exécutant à la rigueur pouvaient annihiler ce qu’elle juge déplorable ou nuisible, les destins de la littérature en seraient fâcheusement affectés. Rayez de l’existence ces poètes confondants, ces hérésiarques, ces démoniaques ; ôtez ces précieux, ces lycanthropes et ces grotesques ; replongez les beaux ténébreux dans la nuit éternelle, purgez le passé de tous les monstres littéraires, gardez-en l’avenir, et n’admettez enfin que les parfaits, contentez-vous de leurs miracles d’équilibre, alors, je vous le prédis, vous verrez promptement dépérir le grand arbre de nos Lettres ; peu à peu s’évanouiront toutes les chances de l’art même que vous aimez avec tant de raison.

Mais enfin, Messieurs, dans cette unique entrevue, nous avons parlé de Racine, grande ressource. Racine, de tous les auteurs, celui qu’il a le plus constamment, le plus précisément, le plus utilement admiré ; Racine, dont il avait le même culte et la même