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REMERCIEMENT

si le janséniste et le courtisan eussent goûté l’esprit de l’incrédule et du libertaire ; mais ce peut être un amusement de l’esprit que d’imaginer la rencontre. J’avais songé un instant, Messieurs, de faire un peu dialoguer ces Ombres à votre intention ; mais j’ai craint qu’elles n’en vinssent assez vite aux propos les plus opposés, — je n’ose dire les plus vifs, — et je les ai laissées en paix.

Dans la seule entrevue toute fortuite qu’il m’a été donné d’avoir avec notre grand amateur de Racine, Racine fut l’unique objet de l’unique entretien. J’étais fort loin de penser qu’après un peu de temps, il m’appartiendrait de rendre à votre confrère l’hommage d’un éloge, et je n’ai pas eu l’inspiration de lui demander ce qu’il faudrait un jour que je dise de lui dans cette chapelle où je ne songeais pas d’entrer. Je n’étais point sans appréhension. J’entrevoyais bien des sujets qui n’auraient pu se développer entre nous sans dissonance. Peut-être aurais-je été tenté de lui faire entendre quelques plaintes de vieille date. Il avait, dans son âge mûr, été critique ; critique des plus distingués par le style et par le savoir, mais un peu moindre sous le rapport de la prescience. Il ne fut pas de ceux qui tendent leurs attentions vers les choses qui pourraient être, qui espèrent en celles qui naissent, et dont l’oreille extrêmement sensible veut entendre l’herbe qui pousse. Ce désir engendre parfois quelque hallucination de l’ouïe…

Mais lui, — que son Ombre m’excuse, — il ne s’est pas montré si anxieux de pressentir. Comme il ne croyait pas aux prophètes, il n’obtint pas le don de prophétie, ou du moins ne fut-il qu’un « prophète du passé ».

Jadis, en certaines pages de la Vie littéraire, il ne se montra pas excessivement tendre pour les poètes qui s’essayaient alors, ni