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À L’ACADÉMIE FRANÇAISE

Ces éternelles victimes pouvaient répondre, par leur existence même, à l’esprit érudit et libre qui les tourmentait, qu’il y aurait dans le monde sans elles infiniment peu de liberté et point du tout d’érudition. La connaissance et la liberté, ce ne sont point des produits de la nature. Le peu que les hommes en ont, ils les obtinrent par effort et les préservent par artifice. La nature n’est pas libérale, et il n’y a pas de raison de penser qu’elle s’intéresse à l’esprit. L’esprit lutte et fonde contre elle. Les hommes se groupent pour agir contre leur destin, contre le hasard, contre l’imprévu, qui sont les plus immédiates des choses. Il n’est rien de plus naturel que le hasard, ni de plus constant que l’imprévu.

L’ordre, en somme, est une immense entreprise antinaturelle dont on peut critiquer toutes les parties à la condition que l’ensemble subsiste, et qu’il protège, sustente, abrite son critique, et lui fournisse ce qu’il faut de sécurité, de loisir et de connaissances pour critiquer.

La littérature elle-même exige tout un système de conventions qui se superposent aux conventions du langage.

Or, dans ce domaine des lettres, voici que notre penseur semble, au premier regard, cesser de s’accorder avec soi.

Les dogmes, les lois formelles qu’il respecte si modérément dans le monde moral et politique, lui sont agréables et adorables quand ils ordonnent les ouvrages et consolident les fictions. Il place au-dessus de tout les chefs-d’œuvre de la plus grande rigueur que l’on ait observée en poésie.

Il n’est rien de plus connu que l’espèce de passion qu’il nourrissait pour Racine.

Je ne sais en vérité quel eût été le sentiment de Monsieur Racine sur son enthousiaste zélateur. Il est vain de s’interroger